rCamus a confié à Roger Quilliot que l'année 1953, celle de ses quarante ans, constituait une sorte de charnière dans son travail et dans sa vie. A son propre état de santé chancelant vient s'ajouter, cet automne-là, la maladie de sa femme Francine, ce qui le rend incapable de travailler. Malgré cet état d'impuissance, pourquoi Camus considère-t-il l'année 1953 comme « une sorte de charnière dans [slon travail » ? Cette date coïncide, d'une part, avec celle de la redécouverte d' « une source de joie », qu'il dépeint dans Retour à Tipasa, daté de 1953 : il ressent la nécéssité de garder intacte sa source. D'autre part, la consultation des manuscrits de la préface à la réédition de L'Envers et l'endroit, sa première œuvre, révèle qu'a été écrit en 1953 le premier état dactylographié de la préface qui annonce la décision de l'écrivain de retourner à « la source » et de « récrire L'Envert et l'endroit », qui ne sera autre que Le Premier Homme. La révision de ses Carnets atteste en vérité, que cette date coïncide également avec la première conception concrète de Le Premier Homme, œuvre de toute la vie de Camus. Ainsi, l'année 1953 est-elle marquée d'une pierre blanche et immuable. Désormais Camus s'attachera obstinément à cette date. Dans Le Premier Homme, à partir du deuxième chapitre, le présent du narrateur se situe en effet en 1953 et l'intrigue porte essentiellemnt sur un rappel du passé du protagoniste Jacques Cormery, âgé de quarante ans. Qui plus est, dans cet ouvrage autobiographique, Jacques se rend sur la tombe de son père en 1953, à l'âge de quarante ans. Cependant, en réalité ce n'est pas en 1953 mais à l'été 1947 que Camus se rendit à Saint-Brieuc sur la tombe de son père. Cette modification voulue d'un fait biographique ne peut que traduire l'insistance de l'auteur qui considère l'âge de quarante ans comme un tournant décisif dans sa carrière d'écrivain.