Dans le chef-d’œuvre de Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, Monsieur Orgon est le père généreux de Silvia, l’héroïne de cette comédie. Bienveillant, il laisse sa fille libre de choisir et lui permet de se travestir. Mais ce n’est pas dans le seul but qu’elle fasse un mariage heureux, c’est aussi pour se divertir du stratagème qu’elle a monté. En espérant qu’il arrivera quelque chose d’imprévu et d’amusant, il accepte cette intrigue identique à celle de Dorante, le prétendant de Silvia. Cependant, il faut éviter la mésalliance qui rabaisserait son niveau social ; il devient donc le metteur en scène de cette comédie. Par son comportement, ses suggestions ou encouragements, il manipule les actions et les amours des quatre personnages afin de mener l’affaire vers un heureux dénouement.
Mario également, quand il taquine Silvia pour lui faire remarquer son affection pour Dorante, a une influence sur la psychologie de sa sœur, ce qui la pousse à agir en conséquence. Et M. Orgon et Mario sont les seuls à comprendre la situation des quatre travestissements. Ils partagent entre eux ce secret et en jouissent. Mais, Marivaux a placé M. Orgon à un niveau supérieur par rapport à Mario. Ce dernier le rôle que lui a attribué son père et reste l’un des acteurs d’une comédie interne à la pièce. Collaborateur du metteur en scène, Mario intervient entre les protagonistes et les aiguillonne pour que l’intrigue imaginée par son père se déroule selon le plan prévu.
En dehors du scénario ou de la mise en scène, la réalisation d’une comédie idéale repose sur le jeux des acteurs. Cependant les acteurs ne suivent pas toujours l’idée du dramaturge. Se rapprocher de l’idéal demande une double direction : l’une menée de l’extérieure, par le réalisateur, et l’autre de l’intérieure par un acteur doué. Ici M. Orgon adopte des traits de l’impromptu pour en tirer un jeu plus naturel et plus vif. En laissant une liberté limité aux protagonistes, il les conduit selon son canevas en collaboration avec le meilleur acteur, Mario.
En conclusion, on peut se demander si Marivaux n’a pas, de la sorte, pensé qu’il fallait coopérer avec des acteurs compétents pour faire de sa pièce une comédie idéale, vivace comme l’impromptu.