Dans Le Premier Homme, roman autobiographique, longtemps resté inédit mais récemment publié, Camus est retourné, comme il l'avait promis dans la préface de la réédition de L'Envers et l'Endroit, à sa propre «source», c'est-à-dire dans le monde de L'Envers et l'Endroit. La structure élémentaire est, en effet, la même dans ces deux ouvrages, mais il y a aussi la différence provoquée par le temps. Qu'est-ce qui caractérise ce dernier roman inachevé de Camus?
Tout d'abord la tendance à l'objectivité ressort. Le jeune Camus n'avait pu décrire qu'un côté de son enfance; dans ce roman il réussit,au moyen de la technique réaliste, à dépeindre objectivement non seulement la grand-mère dont il ne montrait que l'image négative dans son premier essai, mais aussi l'univers entier qui entoure le héros et sa famille.
Une autre tendance, c'est la création d'une sorte de Sainte Famille. L'oncle Etienne, qui cohabitait en réalité avec Camus pendant son enfance et qui était dépeint plusieurs fois négativement dans ses premiers ouvrages, est montré sous un jour idéalisé et purifié dans ce roman. En outre, le début du roman où est racontée la naissance du héros, nous évoque le monde sacré de l'Evangile. Mais il faut aussi faire mention de l'accroissement du rôle du père. Ce thème que Camus n'effleurait que comme épisode, prend une grande importance dans ce roman où le fils recherche toujours en vain l'image de son père.
Mais le fils, imaginant non seulement son père mais aussi les quarante-huitards qui ont débarqué sans rien avoir en Algérie, terre inconnue, comme colons, et dont l'histoire est racontée comme une épopée, se sent lié à cette «tribu», à cette «race», et prend conscience d'être le «premier homme qui part de zéro» sans père ni aucun soutien. Tel est le sens du titre.
Le Premier Homme nous apparaît comme l'ébauche d'un grand ouvrage épique.