La réécriture est une pratique essentielle de la création romanesque chez Gaston Leroux. Dans Les Premières aventures de Chéri-Bibi (1913), entre autres, de nombreuses oeuvres littéraires sont non seulement citées ou suggérées, mais elles sont également des éléments constitutifs de l’intrigue ou des personnages. Les oeuvres dont la trace est la plus patente dans ce roman sont Le Comte de Monte-Cristo, OEdipe roi et Les Mystères de Paris.
Avant même d’utiliser Le Comte de Monte-Cristo dans Les Premières aventures de Chéri-Bibi, Leroux publie Le Roi mystère (1908), qui emprunte notamment des moments significatifs de l’intrigue du roman de Dumas. Dans le feuilleton de Chéri-Bibi, il s’attache plutôt à représenter un monde atlantique qui rivaliserait avec le monde méditerranéen du Comte de Monte-Cristo. Cependant, dans la version en volume, publiée chez Laffite en 1921, il supprime entièrement l’épisode de Saint-Sébastien, faisant disparaître l’exotisme et enlevant du même coup au personnage un peu de sa complexité.
Le lien avec OEdipe roi est à chercher dans le destin de Chéri-Bibi qui rappelle celui d’OEdipe. Mais le thème du parricide est compliqué par de nombreux pseudo-parricides et le récit se clôt sur le destin « pseudo-tragique » (Vareille, 1981) de Chéri-Bibi.
Enfin, Leroux semble puiser dans Les Mystères de Paris pour créer ses personnages principaux. En plus des traits empruntés à divers personnages de forçats tels Jean Valjean, Monte-Cristo ou Rocambole, Leroux s’inspire du Chourineur pour créer le personnage de Chéri-Bibi. Quant à Cécily, figure angélique, elle ne semble à première vue hériter du personnage immoral de Sue que le nom. Cependant, la Cécily des Premières aventures de Chéri-Bibi est l’une des causes de la chute de Chéri-Bibi : c’est par amour pour elle que tombe dans le crime cet homme, qui est souvent comparé à Satan dans le roman. Cette relation des deux personnages (ange-démon) est liée à la vision fantastique du monde chère à Leroux. Il crée Les Premières aventures de Chéri-Bibi en réécrivant des oeuvres classiques qu’il adapte à sa vision fantastique.