Après deux publications fragmentaires, le Baudelaire de Sartre, qui est proposé au public comme introduction aux Écrits intimes de Baudelaire, se situe dans la pratique inaugurale de la «psychanalyse existentielle», telle qu'elle apparaît dans son Être et le Néant. Bien que des critiques comme G. Blin, G. Bataille et M. Blanchot attaquent violemment son point de vue trop moralisateur, elle joue un rôle assez important dans l'étude de Baudelaire. Nous allons donc étudier ici, tout en admettant ces critiques, comment le philosophe dénonce le poète, de quelles manières et avec quelle stratégie. Sartre nous a projeté, dès le début de l'oeuvre et par sa propre intuition, une image toute faite du «poète maudit» à partir d'une «idée reçue»: «Il n'a pas eu la vie qu'il méritait». L'énumération des expressions: «cette mère, cette gêne perpétuelle, ce conseil de famille, cette maîtresse avaricieuse, [et] cette syphilis», la suite des expressions anaphoriques comme «ce pervers», «ce raffiné», «ce solitaire», «cet apologiste de l'effort», et la répétition de l'adjectif «fameux», tous ces éléments, soit qu'ils affirment l'«idée reçue», soit qu'ils la contredisent, ont un rôle stratégique dans l'oeuvre qui consiste à évoquer, chez le lecteur, une image de Baudelaire largement répandue à l'époque. Or, le poète qui est décrit ainsi se caractérise dans l'oeuvre de Sartre par son antinomie entre le «Bien» et le «Mal». «Se sent[ant] destiné à la solitude», au nom de quoi il exige d'être puni, Baudelaire cherche toujours le «regard absolu» des Autres, qui est le «Bien», afin d'affirmer sa «singularité», sa «culpabilité» et son «Mal». En effet, il essaie de «violer» sa déesse absolue, Mme Aupick, en lui adressant des lettres atroces pour elle. Bien qu'il obtienne ainsi sa chère «singularité =Mal», le poète de la «lucidité» ne se satisfait jamais de ce qu'il reçoit passivement, d'autant plus qu'il s'efforce de reprendre sa liberté d'ê