La publication du Premier Homme, dernier ouvrage d'Albert Camus laissé à l'état d'ébauche et longtemps resté inédit, nous pousse, semble-t-il, à reconsidérer la totalité de son oeuvre à sa lumière. En effet, Le Premier Homme montre une nette ressemblance non seulement avec le monde de L'Envers et l'Endroit auquel Camus avait manifesté l'intention de retourner dans la préface de la réédition de 1958, mais aussi avec celui de L'Exil et le Royaume, son dernier recueil de nouvelles, qui constituait depuis longtemps le point d'arrivée de Camus. Le sujet est le même. Le thème principal qui lie les six nouvelles de L'Exil et le Royaume est celui de l'exil que l'on pourrait considérer comme dépaysement, déracinement ou aliénation. Or, dans Le Premier Homme, le père de Jacques, ainsi que les immigrants qui l'ont précédé, n'est autre que le déraciné qui, abandonnant la France, est venu en Algérie pour y trouver ses racines. D'autre part, la ressemblance de climat saute aux yeux. Sur six nouvelles, quatre se situent dans l'Algérie qui sert de cadre à presque tous les chapitres du Premier Homme. La tonnellerie où avait travaillé un de ses oncles et qui fournit le décor aux Muets, Camus la décrit avec réalisme dans Le Premier Homme. La menace d'une vengeance de l'Arabe contre Daru, l'instituteur qui est le héros de L'Hôte, nous évoque une première victime de l'insurrection de 1954 et c'est cette situation instable et inquiétante qui transparaît dans Le Premier Homme. On ne devrait pas oublier par ailleurs de mettre en rapport l'évocation des nomades miséricordieux et libres qu'on retrouve trois fois dans L'Exil et Le Royaume (La Femme adultère, Le Renégat et L'Hôte) avec le titre «Les Nomades» que Camus avait l'intention de donner à la première partie de son manuscrit posthume. Mais l'affinité la plus frappante se trouve dans La Pierre qui pousse quoique cette nouvelle ne se déroule pas en Algérie. Au début de La Pierre qui pousse, ainsi que le père de Jacques dans le c