Dans nos deux derniers articles (1 et 2), nous avons traité, au point de vue de la pensée, de la connaissance et du choix que fait Montaigne en opposant le milieu et les deux extrêmes, extrêmes qui, eux, montrent une certaine analogie. Cet article est consacré aux images par lesquelles l'auteur exprime cette connaissance et ce choix.
D'abord, les mots «choses qui se tiennent par les deux bouts extremes» qu'emploie Montaigne au début de l'énumération des exemples de l' «(extrême = extrême)≠ milieu» expriment le rapport des choses par l'intermédiaire et par l'image d'un rapport de position (les deux extrêmes qui sont les plus éloignés l'un de l'autre; le milieu qui se trouve entre eux) et d'un mouvement des extrêmes qui se rejoignent en un certain point. De fait, les objets (y compris Montaigne luimême) où il distingue des différences de degré sont situés, soit dans un espace vertical ou horizontal, soit sur un axe temporel, où ils «se haussent», «s'abattent», «s'arrêtent», «vont devant», «viennent après», etc., et où, d'un certain point de vue, les êtres ou les choses extrêmes «se rencontrent». De même, quand Montaigne fait son choix, il «se recule», «s'arrête», etc. Donc les deux extrêmes et le milieu ne sont pas de simples termes qui servent à exprimer les degrés; Montaigne connaît les objets et se connaît par l'intermédiaire de l'image même d'une ligne spatiale (verticale ou horizontale) ou temporelle. L'image du rapport de position des objets de connaissance remplit un rôle indispensable dans le mécanisme de la connaissance de l' «(extrême = extrême) ≠ milieu» et du choix que fait l'auteur de ces catégories: extrêmes et milieu.
D'ailleurs, d'une part, dans la plupart des cas de la connaissance de l' «(extrême = extrême)> milieu», Montaigne distingue les hommes surtout par leurs différences intellectuelles ou spirituelles; il se trouve dans la position moyenne où les hommes sont malheureux ou importuns et, pour devenir heureux et honnête, il choisit de se joindre directement ou indirectement aux hommes simples qui sont aussi heureux et honnêtes en dépit de leur position d'extrême infériorité intellectuelle que les hommes supérieurs dont la position est pour lui inaccessible. Cette image du rapport de position parmi les hommes, nous pourrions l'appeler «l'image du rapport des positions extérieures». D'autre part, dans la plupart des cas de la connaissance de l' «(extrême = extrême) < milieu», Montaigne distingue les façons de vivre qui sortent de la mesure de la vie saine et agréable à la fois physiquement et moralement, de l'exercice mesuré de la raison humaine, enfin de la moyenne mesure de «sçavoyr jouyr loiallement de son être» humain, et il prend une direction opposée à la direction actuelle quand il dépasse la moyenne mesure. Cette image du rapport de positions qu'on peut trouver chez un homme, nous pourrions l'appeler «l'image du rapport des positions intérieures».
Or, comme nous l'avons vu dans notre premier article, le schéma «(extrême = extrême) ≠ milieu» comporte les unités fondamentales du mécanisme du jugement chez Montaigne: la distinction et la confrontation (opposition et correspondance). Cette manière de juger toujours relativement en utilisant la distinction ainsi que le goût pour les idées concrètes plutôt que les idées abstraites impliquent sa connaissance des objets et de soi - même et le choix qu'il fait des images spatiales (verticales ou horizontales) ou temporelles en tant qu' «image du rapport des positions extérieures» ou «image du rapport des positions intérieures» sous la forme «(extrême = extrême) ≠ [>/<] milieu».