Camus confesse que sa «quarantième année » coïncide avec «une sorte de charnière de [s]on travail et de [s]a vie». En effet, en 1953, sa femme Francine est tombée malade et a essayé de se suicider, ce qui projette une ombre sur la vie de l'écrivain. Quant à son travail, cette date correspond à la première conception concrète du Premier Homme qu'il va écrire peut-être dans l'année qui a précédé sa mort. Cependant, avant 1953, on peut trouver des notes que reprend le Premier Homme, mais qui étaient destinées à ce moment-là à l'ouvrage intitulé Enfance pauvre, ouvrage qui allait être incorporé à Roman Justice. Cela prouve que sa volonté d'écrire son enfance est bien antérieure à la conception concrète du Premier Homme et qu'elle est une sorte de hantise pour Albert Camus. Or, il est indéniable que le Premier Homme marque un retour à sa propre source, c'est-à-dire au monde de l'Envers et l'Endroit, sa première oeuvre, que Camus a rééditée avec une préface en 1958. Cependant, un peu avant la parution de l'Envers et l'Endroit en 1937, Camus avait déjà voulu ajouter une préface pour s'expliquer sur les maladresses de forme, et dès 1949 il envisageait une préface à la réédition de l'Envers et l'Endroit pour exprimer sa volonté d'«écrire l'oeuvre dont [il] rêve.» Ainsi, le processus d'élaboration du Premier Homme remonte-t-il jusqu'à l'époque de la publication de l'Envers et l'Endroit, et Camus a toujours songé récrire son enfance, que ce soit à travers la conception d'Enfance pauvre, de Roman Justice ou d'une préface à la réédition de l'Envers et l'Endroit. Cela atteste que le Premier Homme, dans lequel Camus y a enfin réussi, serait bien une oeuvre de toute sa vie.