Le Menteur de Corneille fut joué au théâtre du Marais, peut-être en janvier 1643. La pièce eut un grand succès. C'est une comédie très amusante, en dépit des complications d'une intrigue qu'elle a empruntée à Alarcon. C'est aussi une bonne comédie de moeurs, car l'auteur porte à la scène les moeurs de la jeunesse galante de Paris et les décrit avec un certain réalisme.
Mais peut-on la considérer comme une comédie de caractère? On a fait à cette question des réponses exactement opposées. Par exemple, selon Voltaire, le Menteur est "la première comédie de caractère qui ait illustré la France". Adam, lui, est tout à fait opposé à cette opinion : "C'est dire que le «Menteur» n'est pas une comédie de caractère. Corneille a voulu naturellement que son menteur fût vraisemblable, que son portrait fût peint de couleurs justes. Mais son propos n'est nullement d'en creuser les profondeurs, de révéler les secrets de l'homme qui ment". Quant à la description psychologique d'un personnage, les lecteurs contemporains sont sans aucun doute plus exigeants que ceux du 18^e siècle. Ce qui les incite sans doute à prendre parti pour Adam : le Menteur, pour eux, n'est pas une comédie de caractère.
Mais il y a une scène où, Dorante, hâbleur romanesque, excite la curiosité d'un lecteur moderne, en faisant croire à l'existence d'un autre Dorante dissimulé derrière le masque de ce jeune homme sympathique. Au dénouement, il nie son amour pour Clarice à qui il a fait la cour depuis le début de la pièce et avoue qu'il aime Lucrèce, amie de Clarice; néanmoins, dans la Suite du Menteur, il l'abandonnera elle aussi, la veille de leurs noces. Cette inconstance, cette cruauté du héros nous dégoute un peu. C'est pourquoi Nadal critique le dénouement, en prenant à son compte les mots de Péguy : "Le dénouement du «Menteur» ne paraît pas répondre à «la comédie du noble jeu» menée jusque-là sans défaillance. Il reste étranger au caractère de Dorante et à la nature même de son mensonge. Découvert, le Menteur soutient qu'il a vraiment joué la comédie visà-vis de Clarice. C'est- la première veulerie, la première laideur. Le cœur lui-même ment; l'amour se nie. A la vérité, on ne comprend plus".
Sa cruauté rappelle celle d'Alidor, héros de la Place Royale. De peur d'épouser sa bien-aimée, Alidor lui aussi l'abandonne et la livre à son ami. Dorante, qui est en apparence un joyeux drille, éprouve sans doute au fond la même inquiétude qu'Alidor, une sorte de complexe vis-à-vis des femmes.
Si l'on essaie de comprendre le Menteur en le comparant à d'autres pièces de Corneille on peut s'attendre à de nouvelles révélations sur le caractère du héros.