En 1663, Corneille donna à l'Hôtel de Bourgogne une tragédie intitulée Sophonisbe. Mais la pièce ne parut pas obtenir de succès, puisqu'elle n'eut que peu de représentations.
Le dramaturge a eu l'intention de présenter une Carthaginoise fière qui sacrifie aux intérêts de son pays "toutes les tendresses de son coeur, Massinisse, Syphax, sa propre vie". C'est pour cela, continue-t-il, que Lélius, consul romain, est lui-même contraint d'avouer "qu'elle méritait d'être née Romaine".
En réalité, la Sophonisbe de Corneille n'est pas si patriote qu'il le prétend, car ses sacrifices ne proviennent pas forcément de son patriotisme. Quand elle préfère la guerre avec Rome à la paix, ou quand elle épouse Massinisse, quels sont les vrais mobiles de ses actions? Elle en énumère toujours trois: les intérêts de Carthage, l'amour pour Massinisse, la jalousie à l'égard d'Eryxe, fiancée de Massinisse. Mais ces trois motifs ont-ils pour elle la même valeur?
Vers la fin de la pièce, elle se demande pourquoi elle s'est pressée de se marier, ce qui a accéléré sa ruine. Ce n'était ni l'amour ni le patriotisme qui lui ont fait commettre une erreur de cette taille. "C'était, dit-elle, la folle ardeur de braver ma rivale. J'en faisais mon suprême et mon unique bien. Tous les coeurs ont leur faible, et c'était là le mien".
Comme l'indique Stegmann, l'intrigue de Sophonisbe, "apparemment dévouée au culte de la patrie et de la liberté, repose en fait surtout sur une vengeance de jalousie." On peut imputer l'échec de la pièce au personnage même de l'héroïne remplie de jalousie, dans une certaine mesure hypocrite, et qui n'inspire pas la sympathie. En ce sens, l'admiration que Corneille éprouve pour elle n'est pas justifiée. Et il est très surprenant de constater l'ampleur du décalage entre le personnage tel qu'il a été créé et l'idée que s'en faisait le dramaturge.