広島大学総合科学部紀要. V, 言語文化研究 Volume 7
published_at 1982-02-27

«Le Cid»について

Sur Le Cid
Murase Nobuya
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Abstract
1) Après la 2e guerre mondiale, plusieurs chercheurs ont essayé de saisir l'héroïsme cornélien du point de vue historique: P. Bénichou, G. Couton, B. Dort, etc. Certains constatent que les idéals féodaux se reflètent dans les oeuvres de Corneille: ses personnages aspirent souvent à vivre selon les mêmes idéals que la noblesse féodale. Et les autres accordent de l'importance à l'influence de l'absolutisme qui les porte à respecter le pouvoir royal ou la Raison d'Etat. Nous aussi, nous allons mettre en relief les caractères historiques dans Le Cid: d'abord, en le rapprochant de faits politiques en France au début du 17e siècle, puis en analysant les relations, chez les principaux personnages, entre l'amour et la gloire, celle-ci étant l'âme de la morale aristocratique.

2) Don Femand n'est pas un roi absolu comme Louis XIII ou Louis XIV. Il a vécu au 11e siècle en Espagne. Mais comme on ne tient pas compte de la couleur locale à l'époque du classicisme français, la faiblesse de Don Fernand est considérée comme une offense envers l'autorité du roi absolu. En effet, l'Académie condamne à cet égard l'auteur dans la querelle du Cid: Don Fernand ne prend pas de mesures convenables, lors de l'attaque des Mores et de l'insulte du Comte à Don Diègue. Corneille le défend en se référant à la comédie de Guillén de Castro, où le roi est plus mou et plus lâche. Du reste, obéissant à l'Académie, il est forcé en 1660 de modifier un peu son édition originale (vers 631).

Le duel illégitime, dit « appel », est à la mode parmi la noblesse française de la deuxième moitié du 16e siècle et du début du 17e siècle. On dit qu'environ 4.000 nobles furent tués en duel sous le règne de Henri IV. Afin de l'interdire, plusieurs édits sont successivement proclamés: en 1609, 1617 et, en 1626, par Richelieu lui-même. Mais malgré cela, certains nobles bravent son autorité, car le duel, pour ainsi dire, est un symbole de leur indépendance par rapport au pouvoir royal.

Don Fernand désapprouve le duel (1406-1410), ce qui correspond bien à la politique de Richelieu. En revanche, on trouve dans Le Cid un personnage qui représente l'attitude arrogante et révoltée des grands: Don Gomès. Chez lui, la valeur suprême n'est pas l'autorité du roi ni l'Etat mais la gloire ou l'honneur. Il a honte de se soumettre à l'arrêt du roi pour résoudre les affaires d'honneur. En effet, il fait une apologie du duel (acte II, scène 1), mais l'auteur la supprimera plus tard, peut-être sous la pression de Richelieu.

D'autre part, Rodrigue, Arias et même Don Diègue, vieux noble féodal, soutiennent le pouvoir absolu du roi. Après avoir battu les Mores, Rodrigue déclare hautement qu'il n'a fait que le devoir d'un sujet (1233-1236). Il ne pense jamais pouvoir échapper pour cette raison au jugement du roi sur son duel, tandis que le Comte s'en est attribué le droit dans les mêmes conditions.

Que conclure de tout cela? La pièce représente d'une façon assez objective une situation politique française au début du 17e siècle: l'opposition entre le pouvoir royal et les grands, qui se manifeste à travers le débat sur le duel. L'auteur ne semble pas y prendre parti en opposant Don Gomès aux autres personnages appartenant au parti royal.

3) L'amour de Rodrigue et de Chimène respire un climat précieux au 17e siècle, qui, selon P. Bénichou et O. Nadal, tire son origine de l'esprit chevaleresque.. C'est surtout dans l'attitude du héros à l'égard de son amante que se révèle l'influence de ce climat sur leur amour: l'intention de se sacrifier pour elle, l'estime de sa volonté et de sa gloire, puisque la gloire constitue une valeur suprême chez les aristocrates comme elle. En d'autres termes, il s'humilie devant elle comme devant sa reine. Mais en suivant de plus près les scènes, on est quelquefois surpris par le renversement de leur rôle: c'est-à-dire que la maîtresse se transforme en esclave et l'esclave en maître.

Dans les célèbres Stances, Rodrigue se trouve dans l'alternative: l'amour ou le devoir. Mais bientôt lui vient l'idée qu'il s'attirera les mépris de Chimène, s'il ne se venge pas. Ce pourrait être une bonne raison pour laquelle il décide de conserver l'honneur de sa famille; ici, l'amour ne s'opposerait plus à l'honneur; tous les deux l'inviteraient à se venger. Pourtant, sa décision n'est pas fondée sur ce raisonnement. Il dit seulement: «Je dois tout à mon père avant qu'à ma maîtresse ».

Dans son premier entretien avec Chimène (III, 4), il explique pourquoi il a tué son père. Il semble y avoir un petit décalage entre ses explications et la véritable raison de sa décision. Il reprend la logique de l'amour dans les Stances et impute le meurtre à son désir de mériter Chimène ainsi qu'à celui de conserver l'honneur. Mais on sait qu'il a abandonné ce point de vue au cours des Stances; donc, on a peut-être raison de croire que ce n'est pas là le véritable mobile. Alors, pourquoi insiste-t-il tellement sur ce point? N'essaye-t-il pas de se justifier de peur de perdre l'amour de Chimène?

Il lui demande à plusieurs reprises de le tuer. Elle refuse toujours et lui ouvre enfin son coeur: « je ne te hais point » : «malgré la rigueur d'un si cruel devoir,/ Mon unique souhait est de ne rien pouvoir ». Veut-il vraiment mourir? L'Académie en doute: «il n'y avait point d'apparence de s'imaginer sérieusement que Chimène se résolût à faire cette vengeance avec ses mains .... C'était montrer évidemment qu'il ne voulait pas mourir, de prendre un si mauvais expédient pour mourir .... ». Si l'Académie a raison, Rodrigue ne cache-t-il pas quelque arrière-pensée sous prétexte de se sacrifier? Peut-être si: il la menace de mourir plutôt pour écouter sa déclaration d'amour que pour défendre son honneur. Et puisque celui-ci ne repose que sur la mort du héros, il préfére sans doute posséder Chimène, quoique privée de l'honneur, que de se séparer d'elle éternellement.

La même chose se répète dans leur deuxième entretien (V, 1). Rodrigue la menace de se faire tuer par Don Sanche. Ne voulant pas sa mort, elle lui promet de l'épouser quand il l'aura vaincu. Ici, le triomphe de l'amour est plus décisif que dans le premier entretien.

Ainsi Chimène épouse le héros. Mais leur mariage n'a lieu qu'au prix de l'honneur de la première. Le roi a beau lui dire: « Ta gloire est dégagée, et ton devoir est quitte », elle-même sait que la vérité est contraire: « Si Rodrigue à l'Etat devient si necessaire, / De ce qu'il fait pour vous dois-je être le salaire, / Et me livrer moi-même au reproche éternel / D'avoir trempé mes mains dans k sang paternel » . De même, l'Académie lui reproche d'avoir préféré l'amour à l'honneur: « sans autre raison que celle de son amour, elle consent à l'injuste ordonnance de Fernand ».

En apparence, comme nous l'avons dit, l'amour de Rodrigue consiste à respecter l'héroïne: dans ce sens, il reflète l'esprit de l'amour précieux ou chevaleresque. Mais au contraire, la pièce finit par l'humiliation de l'héroïne. Si Le Cid nous donne une impression cruelle, c'est que le bonheur des héros exige forcément la perte de la gloire de Chimène. D'ailleurs, dans les deux entretiens, le héros ne semble pas se conduire d'un bout à l'autre comme un chevalier qui fait grand cas de la gloire de son amante.

P. Bénichou découvre dans ;a légende du Cid le thème de la conquête d'une femme « qu'il faut mettre en relation avec une pratique de guerre fréquente jadis » . Il demande qu'on songe aux captives des temps homériques ou de l'antiquité, lesquelles sont le lot du vainqueur (L'Ecrivain et ses travaux: pp. 185-186). On ne sait pas si son hypothèse est ou non bien-fondée. Mais Corneille nous raconte sans doute dans sa pièce une histoire très simple: Rodrigue, comme homme, choisit l'honneur, et Chimène, comme femme, l'amour: la gloire grandissante du héros l'éblouit et elle se décide à sacrifier la sienne à l'amour. Il s'agit d'un thème très ancien, enraciné dans l'imagination de l'humanité.