Dans le 1er chapitre, nous avons d'abord essayé de mettre en lumière des liens du poète avec Mazarin.
On reprochait au Cordinal de ne pas avoir aidé les gens de lettres. Mais, Naudé, bibliothécaire du Cardinal, dans son Mascurat, nous apprend que Corneille avait reçu de Mazarin cent pistoles en 1643. Corneille en a remercié dans un texte joint à la Dédicace de «la Mort de Pompée».
Corneille s'est chargé avec Valdor des «Triomphes de Louis le Juste», ouvrage de propagande officielle qui a été publié en 1649. Cet ouvrage faisait au Cardinal une publicité ostentatoire sous le prétexte de célébrer Louis XIII : là est présentée l'affaire de Casal où Mazarin s'était rendu célèbre d'un seul coup.
Le 18 janvier 1650, Mazarin fait arrêter Condé, Conti, et Longueville, gouverneur de la Normandie. Pour éviter que Mme de Longueville ne soulève sa province, le Cardinal entre à Rouen et se met à destituer les partisans de Longueville dans les postes importants ; il révoque le procureur des Etats et le remplace «par une personne capable dont la fidélité et affection sont connues, le sieur Corneille».
Ces faits prouvent la confiance du Cardinal en Corneille.
Comme Carlos, héros de «Don Sanche d'Aragon», Mazarin est un homme dont la naissance est mal connue et qui s 'est élevé aux plus hautes charges de l'Etat. En outre, Carlos est aimé de la reine d'Aragon; cela nous rappelle que de nombreuses mazarinades ont accusé Mazarin et Anne d'Autriche d'être amants.
La ressemblance de situation nous fait penser que la pièce plaide en faveur du Cardinal et de la Reine. Carlos se défend d'oser aimer en Donne Isabelle un autre personnage que la reine, en lui demandant de ne s'éprendre de personne indigne de son rang (II, 2, 529-536); voilà l'idéal de l'amour fondé sur l'estime. Ces vers servent peut-être à défendre le Cardinal et la Reine contre la réputation diffamatoire de leurs rapports.
On peut trouver facilement l'image de Condé dans les grands seigneurs arrogants : Don Manique et Don Lope. Ils se sont engagés à donner en mariage leur soeur à celui qui ne deviendra pas roi. Ce mariage qui n'est pas ratifié par la reine évoque celui du duc de Richelieu et de Mme de Pons. C'était Condé qui voulait l'autoriser en décembre 1649, sans aucun consentement de la Reine.
Nous croyons donc que la pièce était apologétique. Pour cela, elle s'est attiré la disgrâce de Condé, ennemi de Mazarin.
On ne doit pas sous-estimer l'influence qu'ont sur le dramaturge Corneille ses origines. Il appartient à un groupe social : celui des officiers qui travaillent dans l'intérêt du roi et dont la promotion sociale dépend de celui-ci. Son attaclunent au pouvoir royal, comme nous l'avons indiqué dans le 1er chapitre, provient donc de ses origines.
Dans la dispute avec les Grands, Carlos pose le problème du mérite et de la naissance : il faut estimer quelqu'un selon son mérite et non pas selon sa naissance (I, 3, 247-253). Ces beaux vers ont eu un grand retentissement dans une époque révolutionnaire. «Don Sanche d'Aragon» apparait ainsi comme la pièce la plus subversive de tout le théâtre cornélien. Mais, à la fin de la pièce, la question subversive s'évanouit : Carlos est né prince. Alors, il n'existe plus d'opposition entre le mérite et la naissance. Ce dénouement fait preuve du conformisme du poète.