Cet article se compose de cinq chapitres : (I) Date de la première représentation de «Mélite». (II) Quelle troupe de comédiens l'a jouée? (III) Clef de «Mélite». (IV) Influence du théâtre français des premières années du XVIIe siècle sur «Mélite» ; en quoi consiste son originalité ? (V) Relations entre «Mélite» et les comédies suivantes de Corneille.
(I) Fontenelle, neveu de Corneille, prétend dans lé texte proposé pour «l'Histoire de l'Académie» que «Mélite» a été représentée en 1625. En 1918, A. Dorchain tente de prouver qu'il faut revenir à cette date. Selon L. Herland, la représentation de «Mélite» doit être au moins antérieure à la diatribe lancée en 1628 par Hardy contre «ces excréments du barreau qui s'maginent de mauvais avocats pouvoir devenir bons poètes». Car Herland, ainsi que Dorchain, croit que cette allusion ne peut: s'appliquer qu'à Corneille.
Malgré leurs opinions, deux témoinages de Corneille et un pamphlet anonyme publié en 1637 nous amènent à constater que «Mélite» fut jouée dans l'hiver de 1629-1630.
«Un voyage que je fis à Paris pour voir le succès de Mélite, dit Corneille dans «l'Examen de Clitandre», m'apprit qu'elle n'étoit pas dans les vingt et quatre heures : c'étoit l'unique, règle que l'on connût en ce temps-là». Lé temps où la règle des vingt-quatre heures : était connue à Paris de la plupart des écrivains, dont l'attention n'était pas encore attirée sur l'unité de lieu, ne pourrait être antérieur à 1630, ni postérieur à 1631.
«L'Avertissement au besançonnois Mairet» nous indique que «Mélite» et «Silvanire» furent représentées simultanément : «cette malheureuse Silvanire que le coup d'essai de M. Corneille terressa dés sa première représentation». D'après H. C. Lancaster, la pièce de Mairet a été jouée en 1630.
Enfin, Corneille fait remarquer dans la préface de «Mélite». que les premières représentations de sa pièce durèrent pendant l'hiver.
(II) «Mélite» fut jouée par une troupe de comédiens dont Montdory faisait partie. 'Quelle était cette troupe? A cet égard, l'existence de la «Troupe du Prince d'Orange» risqua de conduire A. Dorchain à une erreur, parce que Montdory était un certain temps membre de la même trou. pe. Il en conclut donc que «Mélite» a été représentée en 1625 par la «Troupe du Prince d'Orange». Mais les baux de l'Hôtel de Bourgogne, découverts par Fransen, s'opposent à son affirmation : en 1622, Montdory était certes membre de cette troupe mais en 1624 il n'en faisait plus partie. La «Troupe du Prince d'Orange» ne serait donc pas celle qui joua «Mélite».
(III) Dans l'«Excuse à Ariste», poème autobiographique, Corneille a parlé de la jeune fille qu'il aima avant d'écrire «Mélite» : «Je gagnai de la gloire en perdant ma franchise. / Charmé de deux beaux yeux, mon vers charma la cour ; / Et ce que j'ai de nom je le dois à l'amour». Qui est la jeune fille à laquelle Corneille. doit sa gloire en tant que poète?
On a établi d'innombrables hypothèses sur le problème de la clef de «Mélite», qu'elles soient bien fondées ou non.
L'abée Guiot dit : «Sans la demoiselle Milet, très jolie Rouennaise, Corneille peut-être n'eût jamais sitôt connu l'amour». Plus tard, dans les «Nouveaux détalils sur Pierre Corneille», E. Gaillard confirma le témoinage de Guiot.
En fait, on n'a trouvé jusqu'à présent aucune preuve évidente qui puisse vérifier l'existence de Marie Milet ; l'examen des registres de la paroisse Saint-Lô, où elle aurait dû habiter d'après Gaillard, n'a abouti à découvrir aucun acte relatif.à cette jeune fille.
En 1738, l'abée Granet nous fit connaître le nom réel de la belle : Corneille «avait aimé très passionnément une dame de Rouen nommée Mme Du Pont». En effet, Gosselin trouva dans les archives de Rouen une dame Du Pont qui s'appelait de son nom de jeune fille Marie Courant. Mais le problème ne s'en vit pas terminé ; l'âge de Marie Courant ne permettait pas de l'identifier avec Mélite. En 1867, Gosselin en arriva à conclure que la dame Du Pont désignée par l'abée Granet était Catherine Hue, belle-fille de la précédente.
Aujourd'hui, les érudits s'accordent à considérer Catherine Hue comme la bien-aimée possible de Corneille.
(IV) La première pièce de Corneille doit beaucoup à la tragi-comédie et à la pastorale qui sont en vogue dans les premières années du XVIIe siècle : sujet de la comédie, fausse lettre qui sépare les deux amants, folie d'Eraste, etc.
Son originalité réside d'abord dans la rupture de la tradition de la farce qui a subi une grande influence de la comédie italienne ; les personnages ridicules stéréotypés, tels que «les valets bouffons, les capitans et les docteurs», ne paraissent plus en scène.
Et puis la représentation de la vie contemporaine était, en 1629-1630, une sorte d'originalité. Elle fournirait une orientation pour une renaissance de la comédie de moeurs. Le «style naïf qui faisait une peinture des honnêtes gens» est aussi remarquable.
(V) Les idées dé l'amour qu'exprime Tirsis au début de la pièce nous intéressent beaucoup, parce qu'elles font pressentir celles d'Alidor de «La Place Royale», maniaque de la liberté : «...bien qu'une beauté merite qu'on l'adore, dit Tirsis, / Pour en perdre le goust on n'a qu'à l'espouser». Le mariage, pour Tirsis et Alidor, n'est qu'un obstacle qui les prive de leur liberté.
Les questions d'argent hantent des amants : Tirsis, Eraste, Cloris, etc. Car elles jouent un rôle très important dans leur mariage. Ce thème, lié avec le réalisme de Corneille, s'approfondira dans ses comédies suivantes : «La Veuve» et «La Suivante».