広島大学総合科学部紀要. V, 言語文化研究 2 巻
1977-03-31 発行

Polyeucte又は恩寵の悲劇

Polyeucte ou la tragédie de la grâce
村瀬 延哉
全文
1.81 MB
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Abstract
Ce qui nous frappe le plus dans "Polyeucte", c'est que la grâce y joue un rôle très important. Cette intervention d'une force surnaturelle et mystérieuse donne un caractère exceptionnel à la pièce en comparaison des ouvrages précédents de Corneille. Dans ces derniers, nous pouvons savoir quels mobiles déterminent les gestes des personnages : "Aucune force contrôlable, dit Antoine Adam, ne peut expliquer la résolution de Polyeucte, la conversion de Pauline ou de Félix."

Mais d'autre part, si "Polyeucte" est le chef-d'oeuvre du théâtre chrétien de langue française, ce serait que la pièce est soigneusement débarrassée des scènes miraculeuses. Tandis qu'elles emplissent au 17e siècle la plupart des drames du même genre, "Polyeucte" échappe à l'abus du merveilleux. N'est-il donc pas possible de découvrir des mobiles très humains dans les trois actes qu'Antoine Adam considère comme inexplicables psychologiquement : résolution de Polyeucte, conversion de Pauline et de Félix?

Nous allons analyser la piece de ce point de vue après avoir porté la lumière sur des faits nécessaires pour mieux la comprendre : date de sa première représentation, sources, climat spirituel qui a permis à l'auteur de travailler à une tragédie chrétienne, et surtout critique des doctes et des mondains sur "Polyeucte" (chap. 1-4).

Quand est-ce que Polyeucte prend la résolution de détruire les idoles? Supposons qu'il l'ait déjà prise lorsqu'il reparaît en scène après son baptême (acte II, scèneIV) ; alors, ses efforts pour apaiser Pauline inquiète de la destinée de son mari seraient hypocrites, parce que lui-même a la conviction de sa mort. Il se détermine plutôt entre les vers 636 et 640. Cette décision si soudaine, qui ne s'explique peutêtre que par une force mystérieuse, paraît négliger la vérité psychologique, ce qui donne raison à Adam.

On doit chercher le mobile de la conversion de Pauline dans son sentiment amoureux. Corneille nous dit qu'elle a été subitement éclairée par la grâce. On peut penser au contraire que c'est par amour qu'elle se fait chrétienne.

Dans la piece il y a deux amours mais non pas de même nature. L'amour de Pauline et de Sévère repose sur le code de "l'amour héroïque dont le principe est la gloire ou l'honneur ; ils rivalisent l'un avec l'autre de générosité, de grandeur d'âme, de fidélité au devoir. Le charme qui emporte Pauline vers Sévère est surtout l'attraction qu'exercent sur elle le prestige du héros et sa renomée.

Au départ, c'est seulement par devoir que Pauline aime son mari ; elle hésite entre les deux amours. Mais à la fin, elle surmonte son inclination pour Sévère en lui substituant sa passion pour Polyeucte. Cette passoin n'a aucun rapport avec le prestige de la gloire. Lorsque Stratonice lui annonce l'iconoclastie de Polyeucte, elle répond : Quelque chrétien qu'il soit, je n'en ai point d'horreur ; Je chéris sa personne". Elle ose aimer un criminel. Les paroles qu'elle adresse à Polyeucte juste avant son martyre laissent pressentir sa conversion : "Je te suivrai partout et mourrai si tu meurs".

On peut attribuer la conversion de Félix, inexplicable psycologiquement, à l'exigence de la dramaturgie. L'auteur doit satisfaire la curiosité des spectateurs : que deviennent Félix, Pauline et Sévère après la mort du héros ? Le plus simple moyen de brusquer le dénouement est la conversion des personnages.

Selon son interprétation de "l'Art Poétique" d'Aristote, Corneille se trouve dans la nécessité de réconcilier les spectateurs avec Félix : la tragédie ne doit pas "exciter plus d'indignation et de haine contre celui qui fait souffrir que de pitié pour celui qui souffre". En un mot, celui qui persécute le héros ne doit pas être fondamentalement méchant. Félix chrétien satisfait cette exigence.