La stratégie éditrice d'Anthoine Vérard, libraire-juré et principal éditeur de livres de luxe en français, différait de celle de libraires-imprimeurs savants à l'époque de la Renaissance. Il reprenait des textes français, le plus souvent déjà imprimés, recomposait les prologues pour son propre compte et modifiait les textes ainsi que leur disposition pour les dédier aux rois et aux reines dans des exemplaires de présentation sur vélin, somptueusement décorés et plus proches des manuscrits. Ce stratégiste a choisi pour son édition du Decameron en français (1485) le texte que Laurent de Prernierfait avait traduit en 1414, car, considerant ces cent nouvelles boccaciennes comme une œuvre aussi moralisatrice que De casibus virorum illustrium, il y trouvait "plus profit que de delict". Vérard modifia non seulement ce texte mais aussi l'introduction et la conclusion traduites par Premierfait. Il y joignit l'incipit sans le nom du traducteur, ni le processus de la traduction, afin de faire cette œuvre facile à lire pour la lecture muette et orale. Nous en conclurons que ce libraire-imprimeur voulait faire du Decameron français «une marchandise à vendre bien» moralisatrice et divertissante.